Actualités Orthophoniques Mars 2000 (volume 4, n°1)
Le débat sur le thème orthophonie et neuropsychologie fait rage. De part et d’autre tenants et détracteurs s’affrontent dans les Associations ou les Revues. Et si tout cela était plus simple. N’est-il pas de notre devoir de soigner au mieux les patients qui nous sont confiés en tenant compte de TOUTES les données de la science ? Dans ce cas, et cela est encore loin d’être vrai dans la formation initiale, nous devons connaître et maîtriser TOUTES les approches. Et la neuropsychologie n’en est qu’une parmi d’autres. Simplement elle n’est pas une simple méthode, et elle n’est pas issue (mais pas du tout) de notre profession. Sus donc à ceux qui voudraient voir dans cette approche un remède à TOUT faire. Mais sus aussi à ceux qui, le dos collé au mur, restent figés dans des approches peu scientifiques, rarement argumentées et souvent simplistes.
Pour nous, le projet reste identique : vous présenter, à travers l’actualité, TOUT ce qui constitue une véritable formation et donc un choix possible devant chaque cas. Allez courage, rien n’est jamais acquis dans notre belle profession….
Vous savez sans doute que les approches neuropsychologiques reposent sur un modèle de fonctionnement normal qui permet de mettre en évidence « le lieu » du trouble. Ces modèles sont souvent figurés par des boites reliées entre elles par des traits, permettant de visualiser différentes voies de passage de l’information. Nous vous présenterons d’ailleurs dans le prochain numéro un autre article de Mme KREMIN, illustrant de façon plus théorique ces analyses.
L’étude expérimentale (NDLR : il en faut…) dont il est question ici porte sur la compétence orthographique de 60 sujets francophones adultes. Elle a pour objet de délimiter le seuil entre normal et pathologie, ce qui est un problème important en neuropsychologie.
La dictée représente le passage d’un système de perception d’analyse auditive à un système d’expression graphique.
Il doit donc y avoir d’abord
• identification acoustique du mot puis
• soit une activation de la forme lexicale graphique
• soit une analyse acoustico-phonémique afin d’aboutir à une représentation phonologique qui est le support de la conversion phonème-graphème.
Le protocole expérimental établi ici a pour objet d’étudier les processus et les différents niveaux de traitement de l’information impliqués dans l’écriture sous dictée.
En plus d’une dictée, il comprend d’autres épreuves :
• une épreuve de discrimination phonémique (pour vérifier l’entrée acoustico-phonémique)
• une épreuve de décision lexicale auditive
• une épreuve de décision lexicale orthographique (système d’entrée visuelle des mots)
• une épreuve d’épellation orale des mots issus de l’épreuve de dictée.
Naturellement ces épreuves ont fait l’objet d’une étude de standardisation.
Matériel et méthode :
L’épreuve testant la dictée comprend 293 items : soit 268 mots et 25 logatomes.
Il est ainsi possible d’étudier de nombreuses variables :
• la fréquence des mots
L’influence de la fréquence des mots sur les résultats est une des données maintes fois confirmées.
• L’âge d’acquisition des mots :
L’influence de cette variable chez des sujets normaux amène à distinguer les mots acquis ou non à 13 ans.
• La régularité orthographique
Le degré d’ambiguïté orthographique est dépendant du nombre de phonèmes ambigus dans le mot ainsi que des règles de transcription (par exemple /Z/ qui s’écrit S ou Z).
Seul un fonctionnement correct de la voie lexicale permet d’écrire sans faute des mots irréguliers.
• La longueur
C’est une variable qui influe les performances du sujet présentant une défaillance du buffer (mémoire tampon) graphémique. La longueur d’un mot est calculé selon le nombre de lettres et/ou selon le nombre de syllabes. Toutes les listes expérimentales sont équilibrées de telle façon que seule la variable lexicale à étudier soit ciblée.
• La population
Il s’agit bien sûr d’une population ne présentant ni trouble du langage oral et/ou écrit, ni atteinte neurologique connue, ni un début d’atteinte dégénérative.
Elle est constituée de 60 sujets avec 3 tranches d’âge : 18-39 ans, 40-59 ans et 60-75 ans. Au point de vue scolarité, 30 personnes ont eu moins de 9 années d’études. Il y a bien sûr autant d’hommes que de femmes.
Le dépouillement des résultats comportent certaines acceptations ou exclusions :
N’ont pas été considérées comme des erreurs :
• les substantifs et les mots fonctionnels transcrits au féminin ou au pluriel (telle, cheveux, quelle…)
• les verbes du premier groupe écrits au participe passé ou conjugués ou transcrits comme un substantif (ex : arrivée)
• les homophones (ex : faire/fer)
• les différentes écritures admises pour un même mot (ex : paye/paie).
Par contre l’omission ou la substitution d’accents ont été comptées comme erreur.
Discussion des résultats :
Il existe une prépondérance du niveau scolaire sur l’âge et le sexe.
Les femmes ont de meilleurs résultats que les hommes…L’âge n’a pas d’influence systématique.
La dictée de logatomes est globalement mieux réussie que la dictée de mots, en particulier pour le groupe possédant le niveau scolaire le plus bas. On peut donc penser que ces personnes maîtrisent davantage la conversion phonème – graphème ( la célèbre CPG ) que la procédure d’écriture lexicale. En effet cette dernière est dépendante des connaissances orthographiques, elles-même liées aux conventions du langage écrit.
Ces résultats sont d’une très grande importance pour le domaine pathologique : en effet, des performances moins bonnes en dictée de mots ne sont pas forcément signe d’une pathologie. A contrario, un nombre d’erreurs dans les logatomes nettement supérieur à 7 (sur 25 items) montre une pathologie. En effet l’échec maximum à cette épreuve chez des sujets sains est de 7 sur 25, soit 28%.
L’influence de la longueur des logatomes est contradictoire : les trisyllabiques sont difficiles à transcrire mais les monosyllabiques contiennent davantage d’erreurs que les bi syllabiques !! la longueur relative est donc un facteur de facilitation pour l’analyse de l’item mais les logatomes monosyllabiques ayant un temps d’analyse très court, certains sujets ont plus de difficultés, même en l’absence de problème d’analyse perceptive.
La régularité orthographique et l’âge d’acquisition des mots sont les variables qui ont le plus d’influence sur les performances en dictée de mots. Plus on apprend le mot jeune, plus on le retient. Plus le mot est régulier, plus son écriture est facile pour le sujet. Mais l’âge d’acquisition des mots irréguliers n’est pas en soi un facteur de réussite.
C’est donc une variable indépendante qui met en jeu uniquement un savoir orthographique.
Pour conclure à la présence d’une dysgraphie de surface chez un adulte, ll faut essentiellement tenir compte de la présence de productions non lexicales homophones au mot cible et ne pas se baser uniquement sur les performances d’écriture des mots irréguliers. On pourra retrouver les mêmes erreurs dans l’écriture spontanée et la dénomination écrite.
Mais un des intérêts essentiels de cette étude est de relativiser les erreurs orthographiques de certains aphasiques et de considérer les paragraphies par rapport à la « normalité » qui est loin d’être parfaite…
Hélène LACAM
Pour en savoir plus :
Test standardisé de dénomination orale
METZ-LUTZ et coll.
Revue de neuropsychologie, 1991, 1, pp.73-95
Standardisation d’un test d’écriture sous dictée de mots isolés
MAGINOT et MAGNIEN
Mémoire d’Orthophonie, Paris, 1996
La dénomination écrite
B. LAURENT
Mémoire d’Orthophonie, Strasbourg, 1994
Voici quelques informations plus détaillées à propos de l’expérimentation présentée ci-dessus :
En ce qui concerne les erreurs aux logatomes, les taux vont de 6,2% à 9,1%. Alors que pour les mots, ils s’échelonnent de 6,1% à 14,3%.
Le niveau d’étude « marque » surtout les mots (taux d’erreur de 14,3% pour les « moins de 9 ans d’études= NSC1 » contre 6,1% pour les autres= NSC2.). Dans le détail on constate que les mots de haute fréquence montrent très peu d’erreurs dans les NSC2 (3%) que dans les NSC1 (8%). Pour les mots de basse fréquence, l’écart s’accroît (5,6% contre 14%).
De même la catégorie « mots irréguliers non acquis à 13 ans » montre une divergence grande : les NSC1 montrent 18% d’erreurs contre 4% aux NSC2.
De même la catégorie « mots longs de basse fréquence » (idylle, synthèse…) montre 24,5% d’erreurs en NSC1 contre 12,6% en NSC2 .
Voici enfin, pour relativiser les paragraphies des aphasiques l’écriture de certains mots par des sujets testés, normaux…
Chef d’?uvre = chais d’?uvre !!, chédeuvre
Idylle = ydille, idil, idille…
Asthme= asme, ahsme…
Cas = ka !!
Version = verssion
Quoi = coua….
Helgard KREMIN
Rééducation Orthophonique, 1999,n°200, pp.51-75