Semantic intervention to support word recognition : a single-case study

Actualités Orthophoniques Septembre 2000 (volume 4, n°3)
De nombreuses études ont montré que les capacités de traitement phonologiques doivent être intactes pour qu’il puisse y avoir un développement correct de la lecture. Mais les autres éléments langagiers, comme la syntaxe ou la sémantique, n’ont pas reçu la même attention.

Dans une étude de 1990, Bishop et Adams propose les éléments suivants :

– des troubles phonologiques isolés chez des enfants de maternelle ne prédisent pas des difficultés en lecture.

– que ce soit en expression ou en compréhension, les niveaux de maîtrise sémantique et syntaxique sont corrélés avec les capacités ultérieures de lecture et d’écriture.

On doit toutefois noter que dans cet article, la notion de phonologie est limitée et n’englobe pas d’autres processus du même type davantage en lien avec de futures difficultés d’apprentissage de la lecture.

L’analyse de la sémantique s’est souvent faite dans le cadre de la lecture d’un texte, autour de la notion de contexte. Ainsi Share, en 1995, pense que des indices phonologiques minimes (par exemple la reconnaissance du début d’un mot) permet de décoder des mots inhabituels en utilisant le contexte. En 1992, Ehri indique que l’utilisation du contexte pour aider à la reconnaissance d’un mot suppose une lecture correcte de 80 à 90% des autres mots du texte…

D’autres études montrent que certains enfants apprennent la lecture avec des compétences phonologiques faibles, visibles dans la mauvaise lecture des non-mots.

Les auteurs de notre article font donc l’hypothèse que les capacités sémantiques et phonologiques ne sont pas indépendantes dans les processus d’apprentissage. Et donc que des améliorations dans le domaine sémantique pourraient améliorer le traitement phonologique (et vice versa).

Les modèles connexionnistes (Seidenberg – 1989) suggèrent des interactions entre phonologie et sémantique dans la reconnaissance d’un mot. Il n’y aurait pas de modules spécifiques, mais plutôt un traitement par unités : des connections seraient faites afin d’encoder l’information entre les unités d’entrée (les traits orthographiques) et les unités de sortie (phonologiques). Au fur et à mesure que le système apprend, les connexions sont ajustées. Il y a un entraînement automatique pour reconnaître les régularités entre les lettres et la prononciation selon la fréquence d’apparition. Ce qui facilite la lecture de textes. En 1996, Plaut améliore ce modèle afin d’inclure un élément sémantique, repris en 2000 par Snowling. Dans la lecture normale, il y a un apport sémantique important alors que la simple analyse phonologique ne permet pas de lire correctement certains mots, soit irréguliers soit homophones. Une connexion unité sémantique-unité orthographique est alors décisive.

Plaut suggère aussi qu’il y a une évolution dans le cours de l’apprentissage de la lecture. Lorsque la sémantique se renforce, on assiste à une spécialisation : l’unité phonologique traite les mots réguliers et l’unité sémantique participe lorsqu’il y a une difficulté de décodage phonologique. Le secteur sémantique est probablement secondaire dans la lecture (par rapport au phonologique) mais il existe de nombreux cas où il permet d’aider à la solution.

Les auteurs présentent ensuite un cas unique, d’un enfant de 8 ans et demi (WS) avec des troubles du langage oral et écrit. Ses capacités phonologiques se sont développées avec lenteur et sa lecture est très déficiente.

WS a commencé en orthophonie dès 3 ans et il est entré à 4 ans et demi dans une classe spécialisée pour les troubles du langage. A 8 ans et demi, on note que ses capacités non-verbales et sa mémoire visuelle sont correctes. Par contre son vocabulaire est insuffisant ainsi que sa compréhension des structures syntaxiques complexes. Dans la conversation, il a du mal à trouver les mots et à bâtir des phrases. Il fait également quelques erreurs phonologiques.

Malgré l’important traitement qu’il a reçu, sa conscience phonologique est insuffisante et son âge de lecture est de 6,4 ans (il a 8,5 ans).

L’évaluation est très complète :

– Discrimination auditive.

L’enfant doit décider si des couples de mots sont identiques. Ces mots (et aussi des non-mots dans les mêmes conditions) sont différents par un élément final ou par une inversion consonantique.

WS réussit bien pour les mots et les non-mots d’une syllabe mais a des difficultés pour les mots de 3 et 4 syllabes, plus complexes sur le plan phonologique.

– Tâche d’assemblage de sons.

On présente à l’enfant un mot découpé en phonèmes. Il doit assembler les phonèmes et identifier le mot. WS réussit à 100% l’exercice.

– Exercice de rime.

20 mots sont présentés et WS doit donner le plus grand nombre de mots rimant. Cette tâche correspond bien sûr à la nécessité de segmenter des mots. Mais il est possible que la connaissance des rimes facilitent la lecture dans ses débuts en utilisant les analogies entre rimes connues et mots proches. WS n’est pas très compétent dans ce domaine.

– Répétition de non-mots.

Cet exercice est à la fois lié au développement du vocabulaire et à la mémoire phonologique à court terme. WS montre des résultats faibles dans ce domaine, en particulier avec les mots de 3 et 4 syllabes où il ne réussit que 7 mots sur 20. De toute évidence, sa mémoire de travail à court terme a une capacité réduite.

– Classement de mots.

La faible mémoire phonologique de WS lui fait totalement échouer cet exercice, où il faut assembler deux mots parmi quatre présentés oralement.

– Le Test « The Pyramids and Palmtrees test ».

Ce test, conçu en général pour les adultes, est correctement réussi par WS, ce qui démontre une bonne connaissance générale sémantique . Ce qui tendrait à penser que son « manque du mot » serait plutôt d’origine phonologique.

– La reconnaissance des lettres est correcte chez WS de même que la représentation phonologique.

– Les difficultés phonologiques apparaissent fortement lorsque l’on demande à WS de décoder des non-mots. Il ne parvient pas à utiliser correctement la correspondance lettre-son et il échoue aux 20 items. Bien plus, plusieurs de ses réponses n’ont aucun lien avec l’item proposé.

– Un dernier test concerne la compréhension en lecture à travers une épreuve d’appariement mot-image et une autre épreuve de complétion de phrases. S’il réussit assez correctement dans la première, il est totalement incapable de lire et donc de compléter la moindre phrase.

L’évaluation donne donc un tableau mitigé : d’une part une bonne connaissance du sens des mots, d’autre part des difficultés importantes pour la forme phonologique des mots. Même lorsqu’il connaît le sens d’un mot, il peut avoir des difficultés pour le retrouver. La stratégie principale de WS est de repérer la première lettre du mot puis de rechercher un « bon » mot dans le lexique à partir de cet indice.

Pour répondre à ce déficit, les auteurs proposent de centrer l’intervention sur l’aspect sémantique du mot écrit en le mettant en relation avec la prononciation. On espère ainsi améliorer la reconnaissance des mots en lecture.

172 mots ont été choisis dont 89 que WS ne pouvait lire. Certains mots servent de contrôle. Les autres sont partagés en deux groupes : le groupe cible et le groupe distracteur.

WS a été vu après l’école deux fois par semaine et pendant 5 semaines, à raison d’une heure par séance.

5 dessins en noir et blanc sont présentés sur la table, ainsi que des mots écrits. WS doit apparier chaque élément. Puis il doit lire chaque mot qui devient un mot clé pour le reste de la séance, celle-ci comportant d’autres activités (intrus, quiz, appariement sémantique, loto..).

Les résultats apparaissent particulièrement intéressants puisque WS peut lire (et cela avec une conservation à long terme) 96% des mots proposés. Les mots distracteurs (donc sans indice sémantique) ne sont lus qu’à 61% et les contrôles à 19%. La stratégie de reconnaissance des mots par le biais sémantique apparaît donc réussir pour WS.

Il ne peut s’agir d’une simple exposition prolongée aux mots écrits, puisque les distracteurs sont nettement moins bien lus. Il ne s’agit pas non plus d’un développement général puisque les mots contrôles restent mal lus.

On peut donc légitimement penser que la qualité des habiletés sémantiques permet à WS d’utiliser le sens pour restreindre le champ phonologique offert par la première lettre lue. C’est à ce niveau que l’enfant va utiliser ses connaissances phonologiques, même limitées, pour parvenir au bon mot.

Il reste toutefois des interrogations qui nécessitent de nouvelles études : par exemple, comment expliquer que les distracteurs soient mieux lus que les mots contrôle, alors qu’il n’y a eu aucun indice sémantique ? Comment généraliser cette lecture de mots ? Comment passer des mots isolés à la lecture d’un texte.

Bien sûr cette méthode ne saurait remplacer l’apprentissage phonologique classique. Mais l’apport d’un élément sémantique apparaît très utile pour certains enfants.

C. NORBURY et S. CHIAT

Child Language Teaching & Therapy, 2000, vol 16, n°2