Plainte mnésique : que faire ?

Actualités Orthophoniques Juin 1999 (volume 3, n°2)
La plainte mnésique est un symptôme fréquent qui se rencontre dans plusieurs pathologies. Elle doit être prise en considération. Le médecin a un rôle important dans le diagnostic et la prise en charge de cette plainte.

I Chercher la cause de la plainte mnésique

Les circonstances de la consultation et le type de plainte orientent le médecin.

• Les circonstances :

Un patient qui se présente seul en exposant en détails les circonstances de ses oublis, suggère un trouble fonctionnel . A l’inverse, un patient accompagné par sa famille, qui paraît indifférent ou contrarié par cette consultation, évoque plutôt une maladie neurologique.

• Les types de plaintes :

Oublier par exemple ce que l’on est venu chercher dans une pièce, évoque plus un trouble anxieux et des troubles de concentration et d’attention. A l’inverse, oublier un événement important vécu récemment avec connotation affective relève d’une pathologie mnésique (troubles du stockage). L’oubli spécifique des noms propres (blocages lexicaux ), plainte fréquente des sujets de la cinquantaine (trouble d’évocation), n’a rien de pathologique s’il est isolé.

• Le trouble anxieux :

Un trouble évoquant davantage un trouble attentionnel que mnésique doit faire rechercher d’autres éléments d’un trouble anxieux généralisé, en particulier un retentissement somatique. Ce sont des patients qui se lèvent « fatigués ». Les troubles de concentration et les oublis sont associés à des symptômes physiques, et il y a très souvent un terrain familial.

Dans le cas d’oublis, il est très important de connaître :

• Le début et le mode évolutif : un début brutal fait penser à une cause vasculaire. L’évolution stable voire favorable est en faveur de ce mécanisme. L’interrogatoire doit pousser les proches à se souvenir d’oublis plus anciens survenus des mois ou des années auparavant, et qui avaient été minimisés ou banalisés. Classiquement, un trouble d’aggravation progressive évoque une maladie dégénérative, alors qu’un début aigu et une évolution stable sont en faveur d’un mécanisme vasculaire.

• La nature du trouble : il est important de faire préciser la nature exacte des troubles à l’origine de la plainte mnésique : troubles du langage isolés, désorientation. L’absence de difficultés majeures dans la vie quotidienne contrastant avec une apparente désorientation temporelle évoque plutôt un trouble du langage progressif (aphasie progressive). La mémoire épisodique est ici conservée.

• Les troubles associés : l’indifférence affective est un symptôme évoquant une atteinte frontale ou sous-cortico-frontale . L’irritabilité, l’hyperémotivité évoquent des lésions vasculaires sous-corticales. Les bizarreries comportementales orientent vers une pathologie neurologique avec atteinte frontale. Les bizarreries rapportées par les patients eux-mêmes, avec effarement, sont en faveur de troubles thymiques avec troubles attentionnels. Les troubles cognitifs associés (désorientation temporelle et spatiale, troubles praxiques et gnosiques) orientent vers une maladie d’Alzheimer. Des anomalies de l’examen neurologique sont en faveur d’une pathologie vasculaire ou tumorale. Un syndrome extra-pyramidal ou une limitation de la verticalité du regard vers le bas oriente vers une forme de démence dégénérative. Un syndrome pseudo-bulbaire oriente vers un état lacunaire.

• L’évaluation neuropsychologique en consultation :

Toute plainte mnésique nécessite une évaluation neuropsychologique qui va apprécier l’état cognitif global par une échelle telle que le MMS (Mini Mental Status). L’anamnèse donnée par le patient et confrontée avec celle racontée par un proche, renseigne sur les capacités mnésiques. Retracer les antécédents familiaux permet d’évaluer la mémoire biographique et renseigne sur une histoire familiale de démence ou de troubles psychiatriques. L’examen de la mémoire teste les capacités d’apprentissage de mots.

L ‘ évaluation neuropsychologique teste le langage, les praxies gestuelles, les capacités visuo-constructives et les gnosies. L’entretien permet également de tester le jugement et le raisonnement. La passation d’un MMS est toujours bien acceptée et peut révéler par les questions sur l’orientation temporelle un des premiers troubles de la maladie d’Alzheimer. A l’inverse, les démences fronto-temporales ont un score maximal au MMS pendant plusieurs années et les praxies sont généralement préservées. Chez les patients anxieux, la dénomination des visages célèbres fait apparaître un manque du nom propre.

• Les examens complémentaires :

L’évaluation neuropsychologique standardisée : évaluation psychométrique, bilan neuropsychologique avec interprétation qualitative des résultats, test de mémoire à court terme, test de l’attention partagée, test de mémoire verbale indicée, test de mémoire à long terme, épreuve de dénomination, examen de la compréhension orale et écrite orientent aussi sur la cause du trouble .

L’évaluation comportementale : elle est capitale car elle contribue au diagnostic (tant psychiatrique que neurologique) et sert de référence pour l’adaptation d’un traitement symptomatique éventuel. Certains profils évoquent une pathologie vasculaire, d’autres des variantes de la maladie d’Alzheimer.

L’imagerie morphologique : L’IRM cérébrale est l’examen de choix en imagerie morphologique. Elle est indispensable si l’on suspecte une participation vasculaire au tableau clinique. Le scanner X cérébral apprécie l’atrophie hypocampique, marqueur de pathologie Alzheimer tant dans les formes évoluées que débutantes.

L’imagerie fonctionnelle : la tomographie d’émission monophotonique (TEM) peut être un appoint diagnostique.

Les examens biologiques : ils ont pour objectif de rechercher une contribution métabolique aux troubles cognitifs. Par exemple les carences en vitamines B 12 et en folates ne sont pas rares dans la maladie d’Alzheimer.

L’électroencéphalogramme : Sa contribution au diagnostic est faible.

La synthèse , la conduite qui en découle et le suivi

La synthèse de ce bilan, qui tient compte des observations de tous les intervenants, amène dans la majorité des cas à une hypothèse diagnostique et à une conduite à tenir qui sont exposées au patient et à sa famille ainsi qu’au médecin traitant (démence, maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale, démence à corps de Levy, démence vasculaire, troubles psychiatriques).

II Répondre à la plainte mnésique

L’annonce du diagnostic, l’information, le traitement :

Il est important de revoir les patients pour leur expliquer les conclusions de la synthèse. Dans les cas de troubles anxieux, un traitement pharmacologique voire comportemental est souvent nécessaire. Toute cause psychiatrique doit faire l’objet d’un traitement et d’un suivi propre. Dans le cas d’une maladie de la mémoire, il est important également que le diagnostic soit annoncé et compris ; pour la maladie d’Alzheimer, il faut expliquer toutes les mesures thérapeutiques et le soutien qui seront mis en place et aussi dédramatiser la maladie à chaque étape. Si le diagnostic n’est pas cette maladie, il faut expliquer les différences. En cas d’histoire familiale de syndrome démentiel, les patients et leur famille ont des questions sur l’hérédité : or le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ou d’autres démences dégénératives n’est qu’un diagnostic de probabilité.

Il est important de déculpabiliser l’entourage, de parler des possibilités thérapeutiques, symptomatiques sur la mémoire ou sur le comportement, et de maintenir les possibilités de communication et de déambulation qui sont touchées, par des séances d’orthophonie et de kinésithérapie.

Le suivi :

Le suivi des patients est capital, pour affiner et préciser le diagnostic, voire le corriger (20 % des cas) et pour apprécier l’évolution. Il est important dans les cas de démences, de rencontrer régulièrement les familles et les patients, pour expliquer les étapes de la maladie, proposer quand cela est nécessaire et possible un hébergement médicalisé. Ces étapes doivent être préparées, concertées, déculpabilisées.

III Autour de la plainte mnésique

Le centre de la mémoire de Lille :

Un centre de la mémoire doit être pluridisciplinaire. Il a une triple mission : soins, enseignement et recherche. Les patients sont vus en consultation puis en hôpital de jour pour une évaluation complémentaire. A la synthèse sont décidées les modalités de prise en charge et de suivi.

Le centre de la mémoire au centre d’un réseau de soins :

Le centre de la mémoire doit tisser des liens étroits entre intervenants autour de la maladie d’Alzheimer et affections apparentées. Il devrait pouvoir répondre sans délai aux interrogations des soignants ou des proches. Il devrait pouvoir trouver un relais de prise en charge cognitive auprès de structures d’accueil de jour, et le cas échéant auprès de structures d’hébergement médicalisé temporaire, pour favoriser le maintien à domicile, ou en long séjour, médicalisé ou non.

J.D.
F. Pasquier, B. Jacob, F.Lebert et H. Petit

Revue Neurologique, 1998