Les enfants en difficulté : calculent-ils autrement ?

Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
Cette étude a le mérite de comparer les capacités de comptage des enfants en difficulté (d’origine ou non pathologique) avec celle des enfants normaux, en s’attachant non seulement à la qualité des réponses mais surtout au mode de réponse et aux procédures utilisées.
En effet pour envisager un apprentissage efficace du calcul mental élémentaire, il est utile de savoir si les enfants en difficulté calculent de la même manière que les autres. L’auteur nous présente les résultats de diverses études internationales dans ce sens. Il précise la différence fondamentale entre les connaissances déclaratives, c’est-à-dire connues par c?ur (ex : 8+4=12) et les connaissances procédurales ou « le savoir comment faire » pour trouver la bonne réponse (ex : le surcomptage : 8+4 : 8-9-10-11-12).

Parmi les quatre opérations, la plus déclarative est la multiplication, et la plus procédurale est la soustraction. La division est peu concernée parce que pas encore maîtrisée par les classes d’âge étudiées.

Après avoir examiné le développement des performances en calcul, l’auteur a recherché les points forts et les points faibles des élèves en difficulté tout en déplorant le fait qu’on ne parvient pas toujours à utiliser de façon optimale les points forts.

Les cas non pathologiques :

Le définition de l’élève en difficulté par rapport aux habiletés mathématiques, reste difficile, souvent parcellaire. L’auteur propose donc de se référer à différents critères : enfants appartenant à un milieu socio – économique défavorisé, enfants regroupés dans des classes spéciales CLIS (primaire) et SEGPA (secondaire), enfants obtenant des résultats inférieurs à la moyenne dans les tests standardisés (QI) et enfin, enfants présentant – selon le concept américain – un handicap d’apprentissage.

• Des enfants issus de milieux socio – économiques pauvres ont été observés lors d’une étude en 93 comparativement à d’autres enfants de milieux moyens pour les activités d’addition, de soustraction, d’identification de mots . Les auteurs constatent que la majorité des enfants du premier groupe (90%) adaptent leur stratégie à la situation. Toutefois , on note deux stratégies différentes pour 5% d’entre eux : le surcomptage à partir du chiffre le plus petit d’une part et un surcomptage erroné, d’autre part.

Une autre étude a également comparé les stratégies d’enfants de 5 ans à 6 ans ½ issus de ces deux milieux. Les quatre épreuves proposées consistaient en une tache non verbale ( observer un ensemble de disques et le reconstituer une fois celui-ci caché),une tache verbale de problème simple, une tache verbale de faits numériques – le nombre maximal utilisé étant 7. Les résultats des enfants issus de milieux moyens sont meilleurs uniquement pour les taches verbales. D’autre part, on remarque que ces enfants utilisent plus souvent leurs doigts pour calculer que les enfants issus de familles à revenus faibles.

Les mêmes auteurs ont poursuivi leurs recherches en proposant à partir des disques, trois épreuves :

– sortir les disques (production non verbale)

– choisir le nombre correct de disques parmi plusieurs propositions (reconnaissance non verbale)

– donner le nom du nombre (production verbale)

Les enfants issus de familles à revenus moyens ont bien réalisé les items avec et sans production verbale. Par contre les enfants de familles à revenus faibles ont obtenu de meilleurs résultats aux taches avec réponse non verbale. Ils montrent donc de bonnes capacités de calcul non verbal même s’ils éprouvent des difficultés pour verbaliser les réponses.

2 – Des enfants issus de classes spécialisées (perfectionnement et SES) ont participé à une étude en 88 à partir d’un programme « juste-faux » : des égalités mathématiques justes ou erronées sont proposées. Les opérations, additions, soustractions, multiplications, sont soit petites (4+2=6) soit grandes (8+7=15). Le temps de réponse est mesuré et les résultats donnés sous forme de tableau. Deux tableaux réapitulatifs nous sont proposés. Ils permettent de constater que l’addition est l’opération la mieux maîtrisée par la classe de perfectionnement et que ces élèves obtiennent de meilleurs résultats pour la soustraction que pour la multiplication – ce qui n’est pas le cas des élèves de CE2/CM de l’enseignement normal. Leurs stratégies privilégiées semblent les procédures reconstructives très performantes pour l’addition, moyennement efficaces pour la soustraction et inutiles pour la multiplication qui est (rappelons-le) une opération déclarative.

Toutefois ces observations ne se confirment pas pour les élèves scolarisés en SES.

Le tableau nous montre que les multiplications sont presque aussi bien maîtrisées que les additions et généralement mieux maîtrisées que les soustractions. Ces élèves ont donc acquis les connaissances déclaratives qu’ils ne possédaient pas encore en classe de perfectionnement, ce qui laisse à penser que les résultats atypiques des élèves les plus jeunes sont plutôt dûs à un retard de développement qu’à un développement différent.

3 – Les élèves à faible QI

Une étude réalisée en 96 a comparé les possibilités d’invention de stratégies d’additions d’un groupe de retardés mentaux entraînés au calcul de sommes pendant 6 mois avec celle d’un groupe témoin (sujets normaux). Les résultats sont encourageants puisque les sujets retardés mentaux ont pu inventer, acquérir et retenir des stratégies d’addition plus élaborées que celle du groupe témoin. Toutefois cet apprentissage reste trop long pour pouvoir être généralisé, ce qui aboutirait à des méthodes trop contraignantes (ex : Doman).

4 – Les élèves à handicap d’apprentissage

Il s’agit d’un concept américain (L.D.) auquel correspondent des définitions variées et même controversées. L’auteur retient le concept d’enfants normaux sur le plan cognitif mais en difficulté vis à vis des faits numériques. Ces enfants L.D. ne possèdent pas la connaissance déclarative des faits numériques et sont donc obligés de passer par des procédures de calcul longues et fatigantes pour trouver le résultat voulu. Ces procédures requièrent une grande capacité de concentration d’où de nombreux échecs dûs soit à une faute d’attention soit à la fatigabilité. Une étude de 1991 compare les résultats d’enfants normaux avec ceux d’enfants en difficulté en début d’apprentissage scolaire et dix mois plus tard. Les enfants normaux ont évolué en ce qui concerne la vitesse de comptage et de récupération en mémoire, avec diminution des procédures de comptage. Les enfants en difficulté, par contre, ont augmenté leur procédure de comptage .

Les troubles du comportement et du développement

1 – les difficultés attentionnelles et l’hyperactivité

Elles sont la cause de temps de réponse plus longs pour l’addition, la soustraction, la multiplication. Une étude a été réalisée auprès d’enfants hyperactifs, agressifs ou non, ainsi qu’auprès d’enfants normaux pour ces trois opérations. Les résultats montrent que les hyperactifs agressifs présentent plus de difficultés que les enfants des deux autres groupes pour les démarches procédurales, alors que les écarts sont moins importants en ce qui concerne les connaissances déclaratives.

2 – l’autisme

Les enfants autistes présentent généralement moins de difficultés pour aborder le calcul que pour comprendre des phrases ou des pensées. Ils peuvent obtenir des résultats supérieurs à la moyenne dès la maternelle (additions simples) mais aussi plus tard à l’âge adulte en utilisant leur mémoire déclarative. L’auteur cite l’exemple d’un adulte autiste (R.H.) qui est capable de répondre très vite à des calculs de carrés de nombres à deux chiffres grâce à son stock de réponses en mémoire déclarative – selon la technique des calculateurs experts. Toutefois, qualitativement les performances des autistes ne semblent pas différer de celles des gens normaux.

3 – les déficients sensoriels

Une étude comparative auprès d’enfants sourds profonds et d’enfants normaux ne met pas en évidence une différence notable quant au modèle de comptage. Une autre étude permet d’observer des réponses particulières pour trois élèves déficients auditifs, réponses proposées sous forme de tableau : alors que les réponses chiffrées à des additions de grands nombres sont correctes (ex : 60+14=74), les réponses littérales ne le sont pas toujours (ex : soixante onze quatre pour 74, quatre douze pour 92). Il y aurait donc indépendance entre les traitements numériques d’une part et linguistiques de l’autre. Suite à ces observations, l’auteur souligne que l’oralisation peut s’avérer une source supplémentaire de difficultés : en effet, un enfant qui verbaliserait trop serait tenté d’écrire 60 14 au lieu d’utiliser sa connaissance déclarative pour écrire 74.

4 – les déficients visuels

Une étude des stratégies de comptage réalisées auprès d’enfants aveugles de naissance ne met en évidence que des procédures tactiles attendues compte tenu de leur déficit – telle le balayage des objets suivis d’un comptage avec partition des objets selon qu’ils aient ou non été déjà comptés.

5 – les déficients moteurs

Les enfants IMC présentent plus de difficultés dans les stratégies procédurales que déclaratives. Pour éclairer cette donnée, l’auteur cite en exemple l’observation d’un cours de calcul avec recherche de résolution de problèmes dans une CLISS 4 ( classe d’intégration pour handicapés moteur). Pour chaque exercice proposé, les élèves élaborent des stratégies soient efficaces soient erronées mais sont incapables de les expliquer. Ils ne parviennent pas à adhérer à un raisonnement hypothético-déductif.

6 – les aberrations chromosomiques

Les sujets trisomiques : une étude de 88 ne met pas en évidence de différence qualitative entre enfants trisomiques et normaux par rapport à leur façon d’aborder une nouvelle tache de comptage. Toutefois les enfants trisomiques s’autocorrigent moins et varient moins leurs types de solutions que les autres. Une autre étude a permis d’observer des enfants trisomiques et normaux d’âge réel différent mais de même âge mental. Les deux groupes obtiennent des résultats comparables : c’est donc le niveau développemental plutôt que la trisomie qui détermine la procédure de comptage.

Le syndrome de Turner : rappelons que ce syndrome est dû à une aberration chromosomique concernant les chromosomes sexuels (présence d’un seul chromosome x ). Une étude de 94 montre que les filles atteintes de ce syndrome de Turner présenteraient plus de difficultés dans le domaine procédural que le groupe témoin. Toutefois ces observations manquent de précision.

CONCLUSION

Il semble impossible de répondre de manière catégorique à la question initiale s’agissant de savoir si les élèves en difficulté calculent autrement que leurs camarades. Il existe bien une différence, mais cette dernière concerne plus le mode de réponse que le mode de calcul lui-même : ainsi nous avons vu que les enfants de milieu défavorisé sont mis en difficulté lorsque le mode de réponse est verbal. Nous avons également observé les difficultés des enfants déficients auditifs pour transcrire en mots les nombres alors qu’ils répondent correctement en chiffres. Il semble indispensable – pour ces deux groupes d’enfants – de favoriser les manipulations et la visualisation lors des apprentissages.

Enfin, seulement quelques recherches mettent l’accent sur la différence entre processus de calcul (stratégie procédurale) et représentation en mémoire (stratégie déclarative). On constate que les élèves en difficulté vis à vis des mathématiques (contrairement aux enfants normaux) ne mémorisent pas les résultats de leurs procédures de calcul en tant que connaissances déclaratives. Ceci explique les retards d’acquisition – constatés dans les classes de perfectionnement par exemple.

Enfin les hyperactifs, les « syndromes de Turner » et les « IMC » présentent essentiellement des difficultés procédurales.

Pour terminer, l’auteur rappelle que quelques études n’ont pas permis la mise en évidence de stratégies différentes en calcul pour les enfants en difficulté . Il s’agit par exemple des enfants déficients auditifs qui réalisent aussi bien les additions élémentaires que les enfants entendants.

Viviane REGNARD
J-P Fischer

Rééducation Orthophonique, 1999,n°199, pp.33-51