L’information au patient dément

Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
Deux articles fort intéressants pour tous ceux qui, toujours plus nombreux, s’intéressent à la prise en charge des patients avec une maladie d’Alzheimer (MA).

Tout d’abord l’article de CHARAZAC et GALICE « La révélation du diagnostic de la MA à son début ».

Cette question est devenue d’actualité sous la conjonction de trois éléments :

• La nouvelle loi sur l’information des patients

• La spécification sur les notices des médicaments de la maladie d’Alzheimer

• La nécessité pour le patient de se préparer au plus vite à son déclin, en particulier en réglant « ses affaires ».

Dans les premiers temps, il est urgent d’attendre la confirmation des examens. En effet toute suspicion, issue en général des remarques familiales, conduit à une série d’examens (analyses biologiques, scanner, EEG, évaluation neuropsychologique….) qui conclura ou non à une probabilité de la maladie d’Alzheimer. Cette première « impression » sera confirmée après une évolution d’au moins six mois.

Vis-à-vis du patient, faut-il faire l’annonce au plus vite, par exemple pour permettre la délivrance des médicaments spécifiques ? Mais le fait de « dire » la maladie trop tôt ne risque-t-il pas d’être mal reçu par le patient ?

En fait il faut savoir s’adapter à la demande du patient, à ses questions et à ses silences.

Deux situations existent dans le domaine :

• le malade demande notre diagnostic

Il faut écouter entre les lignes ce que nous dit le patient et ce qu’il sait de la maladie, mais également rappeler que chaque malade a sa propre spécificité.

• Il ne pose aucune question

Le plus souvent, c’est la famille qui a demandé la consultation. Il faudra donc l’informer spécifiquement en rappelant ensuite au patient quelques éléments. Parfois aussi la famille souhaite le secret. Le médecin doit alors réagir dans le cadre de sa philosophie afin de ne pas être manipulé par la famille.

Le rôle du médecin est loin d’être simple car le moment est essentiel :

Par exemple, il est possible de parler de syndrome démentiel au lieu de nommer la maladie, non par crainte mais parce que la MA reste mal connue dans son fonctionnement. En effet, la part du cognitif et celle des défenses psychiques reste à déterminer dans le décours de la MA.

L’annonce peut avoir des effets négatifs. Sur le malade lui-même, avec une atteinte narcissique forte, sur la famille aussi avec un deuil prématuré. Il faut également tenir compte du fonctionnement du couple et de la famille, sans négliger le rapport à l’âge (infliger l’annonce à 50 ans est sans doute plus délicat qu’à 75 ans…).

L’annonce du diagnostic est bien sûr suivi de la question du devenir du patient et de sa famille et c’est sans doute pour cela qu’une attente est préférable du moins au stade précoce.

Pour l’auteur, le premier examen correspond en fait à une première séance de guidance du conjoint et de la famille. Donner le diagnostic au plus vite permet d’éviter par la suite l’annonce « révélatrice » traumatisante. Mais conduire la famille à cette annonce peut s’avérer une piste meilleure.

Nommer la maladie, c’est aussi mettre des mots sur les troubles et ces mots vont être repris par la famille avec leurs propres expériences et donc leurs propres mots.

Bien entendu, une annonce tardive pose de graves problèmes aussi. La famille avait développé un système de défense fort qui explose lors du diagnostic et qui a souvent des conséquences plus dramatiques dans le système familial.

Le rôle du médecin, et particulièrement du psychiatre, est de contenir l’effet traumatique.

Mais il faut savoir prendre le temps pour permettre l’évolution des réflexions de la famille. Il faut aussi présenter l’action possible (du médecin ET de la famille), même si le diagnostic n’est pas encore définitif.

L’auteur termine en rappelant le rôle central du médecin de famille, par qui passent beaucoup de questions de la part de la famille et qui peut (ou non) favoriser la participation et l’aide de la part des proches.

« Ethique et prescription chez le sujet atteint de maladie d’Alzheimer » de M-P PANCRAZI et I. SIMEONE.

Guère ici de recettes miracles mais une analyse d’excellent niveau qui s’étend sur des domaines de pensée dépassant largement l’idée de la médecine classique. Et même si l’annonce du diagnostic n’est pas de notre ressort, on trouvera dans ces lignes de nombreuses réflexions inséparables d’une bonne prise en soins des patients Alzheimer. Car, si notre rôle est de travailler essentiellement sur le cognitif et la communication, il n’est guère pensable au vu de la réalité des faits (l’orthophoniste est souvent, avec l’infirmière qui n’a guère de temps, le seul contact fréquent avec le patient et sa famille) de se limiter strictement à cela, laissant de côté la souffrance et l’anxiété qui nous sont dites.

Dès les premières lignes, les auteurs rappellent l’essentiel : ici, bien plus encore que dans les autres pathologies, il serait facile de nier le patient dans son être même, alors même que la maladie s’attaque à son esprit. C’est dire toute la responsabilité qui est la notre (collectivement dans les professions de soignants) pour garder toujours présent que derrière la dégradation cognitive et comportementale se cache pendant longtemps une personne en souffrance.

L’existence depuis une dizaine d’années de médicaments spécifiques a modifié le rapport entre patient et soignant. On sait que les médicaments, à défaut de soigner, aident à améliorer les capacités d’attention et sauvegardent en partie le comportement des patients. Mais leur action est d’autant meilleure qu’ils sont administrés précocement avant que trop de récepteurs soient atteints. D’où la probable nécessité d’informer le patient, amis d’une part après une investigation clinique poussée, d’autre part en appréciant au mieux que possible le contexte psychique et en proposant éventuellement un suivi psychologique.

Bien entendu, les choses sont loin d’être simples…

Ainsi l’obligation légale d’information du patient peut être mise à mal dans le cas des démences, le patient n’ayant plus toujours suffisamment de capacités pour faire un choix et consentir ou non à un traitement. S’y ajoute pour le patient la capacité affective à faire face et donc le désir ou non de savoir.

Ainsi de l’attitude générale du corps médical, pétri d’un « humanisme paternaliste » qui répugne à dévoiler la vérité « pour préserver le patient ».

Ou bien encore, l’image dévalorisante de cette maladie aux yeux mêmes des soignants.

L’annonce du diagnostic semble imposer une connaissance intime du patient par son médecin (et pas uniquement un état clinique), ce qui est bien sûr difficile et donc rare. Et donc l’apparition de sentiments de désespoir, d’anxiété, voire de tendances suicidaires chez les patients à qui l’on assène malencontreusement la nouvelle…

Un autre aspect délicat concerne l’information aux familles. Il n’est pas concevable d’écarter la famille puisqu’elle sera obligatoirement associée à la prise en soins. Mais il faut bien prendre garde de reléguer le patient hors du dialogue soignant-famille, en le « chosifiant ».

Cette information au patient soulève donc de nombreux problèmes, qui ne sont résolus que par des compromis transitoires et réactualisables. Mais une série d’éléments permettent d’aider dans ces compromis.

Les repères juridiques sont incontournables. Selon la loi, une information « simple, intelligible et loyale » doit être donnée au patient, permettant d’obtenir son consentement éclairé au traitement. Mais il ne peut y avoir consentement sans compréhension préalable, ce qui pose un réel dilemme dans le cas des démences où selon les auteurs l’information reste de mise quel que soit la dégradation cognitive. Pour autant, il ne semble pas possible de légiférer dans ce domaine, laissant libre arbitre au médecin.

De même, la loi sur les incapables majeurs ne peut complètement éclairer le débat. Car la protection des biens n’est guère superposable à un acte thérapeutique.

D’autres repères sont liés à la déontologie.

Il est fréquent en France de taire le diagnostic au patient mais en le donnant à la famille. Outre que cela remet en cause le secret médical, cette attitude semble préjudiciable pour la relation nécessairement de confiance qui doit s’instaurer entre soignant et patient. Et puisque, selon la loi, « le pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection », le médecin devra s’assurer que le patient est capable d’entendre et de supporter l’annonce.

Et lorsqu’il est décidé d’informer le patient, il faudra en même temps mettre en place une aide d’accompagnement indissociable.

Les repères culturels jouent également un rôle important. On sait que dans les sociétés rurales traditionnelles, les déments (de même d’ailleurs que les aphasiques qui leur sont associés) ont leur place au sein de la communauté. Alors que nos sociétés post-industrielles entendent la démence comme une folie et excluent donc les patients de ce type. Ce rejet, cette exclusion tiennent sans doute à l’étrangeté de la démence mais aussi à l’image que nous véhiculons de la vieillesse et de la mort. Et les soignants sont également inclus dans cette culture. A cela il faut rajouter l’idée majoritaire d’une société productiviste et efficiente, ce qui n’est guère compatible avec l’idée même de la maladie inéluctable.

Or les patients déments ne peuvent poursuivre leur vie de façon autonome qu’avec une aide des proches et au-delà du tissu social. Il y a là comme une bataille à mener pour faire changer les mentalités en refusant de les abandonner.

Les auteurs rappellent également les repères moraux qui balisent le paternalisme de la culture médicale française, toute entière tournée vers le principe de non-nuisance et de protection de la souffrance (à la différence fondamentale des cultures anglo-saxonnes qui privilégie un contrat thérapeutique dans la vérité).

La dimension épistémologique est soulignée. Il y a là le rappel de la nécessité de formation du personnel, de celle d’une équipe multidisciplinaire, mais aussi le primat du tout-cognitif dans un domaine où le vécu et l’humain doivent retrouver leur place dans la prise en soins.

Les aspects psychologiques font l’objet d’un long développement :

du côté du patient d’abord, avec les réactions premières à la perception des troubles, qui s’inscrivent dans l’histoire personnelle du patient. Il y a là un traumatisme majeur, qui est suivi d’une réaction de choc, de catastrophe, d’un sentiment de déréalisation, puisque c’est bien la permanence même de l’identité personnelle qui est en cause. Face à cela, le patient peut entrer dans un déni de défense ou au contraire s’installer dans une véritable dépression.

Les auteurs soulignent que « l’apport réfléchi d’une information » permet la lutte contre le désespoir par une appropriation des troubles par le patient lui-même. Il est alors possible de faire face (le « coping » des Anglo-Saxons) en mobilisant ses ressources. Il s’agit alors pour le médecin de donner les clés pour que le patient comprenne ses troubles et d’aider à trouver des stratégies de lutte.

La famille est « co-partenaire » du soin. « Son adhésion au projet thérapeutique est indispensable ». Toutefois, il faut faire très attention à ne pas créer une coalition famille-soignants qui évincerait et isolerait le patient.

Mais la famille n’est pas neutre. Elle reçoit aussi l’annonce comme un traumatisme et le plus souvent elle va (et doit) mettre en place des mécanismes de défense. Mais en l’absence de soutien, ces mécanismes peuvent exclure le patient qui est rejeté voire maltraité par ses proches.

Il s’agit donc à travers des entretiens réguliers de permettre l’appropriation des informations par les familles et de l’aider à créer un nouvel équilibre. Avec les familles, l’information doit être régulièrement répétée, si possible avec des canaux différents (réunions collectives, entretiens individuels, documents écrits …). Et il est indispensable de laisser le temps agir pour permettre à la famille d’avoir sa propre évolution.

Le soignant est également inclus dans ces difficultés psychologiques, car il est renvoyé à ses propres représentations de la maladie et de la mort, sans oublier le travail délicat dans un univers d’étrangeté. C’est pour cela qu’un travail d’équipe, si possible supervisé, est nécessaire.

Les auteurs achèvent leur article par une série de recommandations bienvenues à propos de la délivrance de l’information :

* On doit refuser l’information « coup de poing » et privilégier une approche progressive, tenant compte des capacités d’écoute du patient, ce qui suppose de prendre le temps de connaître le patient
* L’information doit être progressive tenant compte de la confirmation du diagnostic.
* Elle doit être adaptée à la personnalité du patient et doit éviter les mensonges et les non-dits
* Elle doit être répétée, en particulier pour ce qui concerne le traitement et le handicap
* Elle doit rester confidentielle
* Elle doit être homogène et cohérente entre les intervenants
* Elle doit être claire car cela est la base d’une relation correcte entre soignant et patient
* Elle doit se singulariser, différente entre l’information donnée au patient et celle donnée à la famille
* Elle doit engendrer une alliance thérapeutique avec le patient ET sa famille
* Elle doit proposer une prise en soin au long cours, pour le patient ET sa famille.

Pour conclure, les auteurs rappellent la nécessité d’un accompagnement au long cours pour le patient et sa famille, le tout dans un climat d’écoute et de disponibilité des soignants. Ceci implique que des moyens réels soient accordés au soutien des familles afin qu’elles puissent développer les ressources nécessaires pour faire face à la maladie. Mais ceci implique que la maladie d’Alzheimer ne soit pas réduite à ses caractéristiques cognitives pour pouvoir accepter les autres dimensions des troubles.
Réunion de la Société Médico-Psychologique du 27 Septembre 1999

Annales médico-psychologiques, 158,2, 2000