L’évaluation clinique de la mémoire

Actualités Orthophoniques Juin 1999 (volume 3, n°2)
Pas plus que l’examen du langage, l’examen de la mémoire ne peut être complètement standardisé. Du moins si on considère l’objectif de l’évaluation non comme un classement normatif mais comme un exercice d’explication et de compréhension (et de remédiation) des troubles.
Cette évaluation nous est nécessaire dans de nombreux cas de prise en charge « orthophonique » : plainte mnésique, maladie d’Alzheimer, séquelles de traumatismes craniens…

Depuis une vingtaine d’années, les études se sont affinées et on distingue volontiers maintenant plusieurs types de mémoire, chacun pouvant faire l’objet d’une évaluation spécifique. Pour leur part, les auteurs se réfèrent aux conceptions de Tulving et Schacter, que l’on retrouvera dans un ouvrage (en français…) de 1996, aux Editions Solal (« Les systèmes de mémoire chez l’animal et chez l’homme »).

Rappelons aussi que l’on peut différencier trois types d’évaluation :

ceux présentant des données normatives, ceux qui se réfèrent à des conceptions cognitivistes et ceux qui s’insèrent de façon écologique dans les situations de vie courante.

• La mémoire épisodique

Il s’agit d’informations liées au contexte temporel et spatial. Les troubles dans ce domaine sont ceux qui déclenchent en général l’alerte chez les patients et surtout dans leur entourage.

Parmi les épreuves, on connaît souvent l’échelle de mémoire de Wechsler ainsi que, plus récente, la Batterie d’Efficience de Signoret.

Dans l’échelle de Wechsler de 1969, 3 épreuves évaluent spécifiquement la mémoire épisodique : le subtest « mémoire logique » où la personne doit restituer deux textes lus par le testeur, le subtest « reproduction visuelle » où la restitution concerne des figures géométriques et le subtest « mots couplés » où il y a apprentissage de 10 couples de mots en trois essais.

Les résultats de l’indice de détérioration mnésique (QM/QI) doivent être pris avec précaution car il s’agit d’une note composite ne permettant pas la compréhension des troubles. Il faut également noter qu’il existe depuis 1991 une version révisée où ce QM a été remplacé par cinq scores composites mais qui dure plus longtemps.

La batterie de Signoret (BEM 144) est très souvent utilisée. Il existe deux épreuves indépendantes, une avec un matériel verbal, une avec un matériel visuel peu verbalisable. Douze subtests permettent de réaliser un profil mnésique avec une grande finesse mais avec un temps de passation dépassant l’heure pour la version longue. Dans le même coffret est inclus une épreuve de reconnaissance de 24 images à reconnaître en immédiat puis après 20 minutes de délai, qui convient particulièrement au diagnostic d’un état démentiel.

D’autres épreuves peuvent être réalisées : en particulier des épreuves utilisant des listes de mots et qui permettent d’analyser les processus de mémorisation (ordre de restitution des mots, avec différenciation de la mémoire à court terme et de la mémoire épisodique. Le CVLT (California Verbal Learning Test – Delis – 1987) coprrespond à ce type de test.

L’épreuve de Grober et Buschke (1987) s’intéresse à l’encodage des stimuli. Elle repose sur une contrainte d’encodage profond (pointage d’un mot en lien avec sa catégorie sémantique).

Les auteurs proposent une évaluation spécifique nommée ESR (Encodage, Stockage, Récupération) pour la mémoire épisodique. Il repose également sur la notion d’encodage profond. Cette épreuve est longuement développée dans l’article.

Les auteurs soulignent ici l’aspect in vitro des épreuves précédentes et proposent donc une série d’évaluation « écologique ».

Le questionnaire d’auto-évaluation, composé de 64 items, dont une partie est remplie par le patient et l’autre par ses proches, est bien connu en France (Van der Linden – 1989).

Le Rivermead Behavioral Memory Test, de Wuilson (1985) évalue la mémoire rétrospective et prospective, mais de façon quelque peu simplifiée en comparaison de la complexité de la vie quotidienne.

L’interview semi-dirigée de Kopelman (1989) s’intéresse à la mémoire du passé lointain (période scolaire puis période de l’entrée dans l’âge adulte). Les difficultés méthodologiques de ce type d’évaluation sont soulignées par les auteurs.

• La mémoire de travail

Cette notion est parfois identifiée comme équivalente à la mémoire à court terme. Parfois aussi, en particulier chez Baddeley, il s’agit d’un concept spécifique et complexe (administrateur central, boucle phonologique et calepin visuo-spatial) qui est rappelée ici par les auteurs.

Une situation d’attention divisée permet d’évaluer l’intégrité de l’administrateur central, par exemple l’épreuve de Brown-Peterson (1958-59) où il y a rappel d’informations après un délai comblé par une tache interférente.. Les mesures de l’empan sont révélatrices de la qualité du stock phonologique et du calepin visuo-spatial.

• La mémoire sémantique

C’est « la mémoire des mots, des idées, des concepts indépendants du contexte temporo-spatial ». De nombreuses épreuves permettent de l’évaluer : dénomination d’images, compléments de phrases, synonymes, évaluation des connaissances générales et surtout évocation lexicale.

De façon générale, ce type d’épreuve reste peu interprétable. Toutefois l’épreuve de Cardebat (1990), précisément étalonnée, permet d’obtenir des résultats quantitatifs fiables. L’aspect qualitatif est également à étudier (par exemple la répartition des réponses correctes dans le temps, ou le type de réponses, voire l’analyse de regroupement de réponses. Plusieurs études ont été réalisées sur ce sujet en lien avec la maladie d’Alzheimer.

Des épreuves spécifiques à la M.A. ont été proposées. Par exemple l’épreuve de connaissances sémantiques (Desgranges – 1994) qui permet par une série de questions sur des mots dénommés précedemment de détecter une atteinte des attributs spécifiques vs une préservation des caractéristiques générales. Il est également possible de différencier les troubles des représentations elles-mêmes et ceux de l’accès à ces représentations. La notion d’état réfractaire est analysée dans cet article .

• Les effets d’amorçage

Pas de réelle évaluation dans ce domaine, mais plutot un essai de compréhension des mécanismes essentiels pour la mise en mémoire. En effet l’influence de la présentation d’un item est importante, à l’insu du patient, sur le traitement de l’information. Les auteurs développent fort bien les deux types d’effets (sémantique et perceptif) ainsi que les épreuves de trigrammes (Shinamura) qui s’y relient .

• La mémoire procédurale

Il s’agit de l’acquisition d’habiletés, sans recours au rappel volontaire et avec une amélioration progressive des performances. L’évaluation se réalise par l’acquisition d’une procédure nouvelle pour le patient. Normalement, on constate une diminution du temps pour effectuer la tâche au long des essais successifs et « cette amélioration ne nécessite pas le recours explicite aux souvenirs des essais précédents. » mais il faut multiplier les essais avant de parvenir à la phase procédurale elle-même.

Trois types d’épreuves existent dans ce domaine :

Les épreuves perceptivo-motrices , en particulier les tâches de poursuite de cible, de labyrinthes ou de temps de réaction sériel, réalisable sur ordinateur. Dans ce dernier exercice, une courte séquence est incluse à l’insu du patient, servant – lorsqu’on la supprime – de contrôle.

Les épreuves perceptivo-verbales, avec des lectures de matériel transformé (lettres ayant subi une rotation de 180° ou présentés en miroir).

Les épreuves cognitives, par exemple la Tour de Hanoi.

La « conclusion » de cet article se présente sous forme de présentation de cas, montrant le cheminement des évaluations vers une compréhension des troubles. Un syndrome amnésique, un syndrome de Korsakoff et différents types de maladies d’Alzheimer sont présentés de façon particulièrement utile.

Pour en savoir plus :

La mémoire procédurale
H. BEAUNIEUX
Revue de Neuropsychologie, 1998,8

Semantic memory in Alzheimer’s disease
BINETTI et coll.
Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 1995, 17

Evocation lexicale formelle et sémantique chez les sujets normaux
CARDEBAT et coll.
Acta Neurologica Belgica, 1990,90

Memory disorders in Alzheimer’s disease
DESGRANGES et coll.
Cortex, 1996, 32

Mirror reading in Alzheimezr’s disease
DEWEER et coll.
Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 1993, 15
(tirée de l’article de F. EUSTACHE, B.DESGRANGES et C. LALEVEE –

Revue Neurologique – n°154 – 1998)