Jouer et imaginer pour sortir de la violence

Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
Bien sûr, il ne s’agit pas ici de traitement du langage. Bien sûr c’est une psychologue scolaire qui est l’auteur de cet article.

Pourtant, le sujet est d’importance et il est traité sans a priori ni excès, donc avec qualité. Car sans entrer dans des thérapies psychothérapeutiques, il est probablement indispensable de mieux comprendre les personnalités des patients pour donner toute sa plénitude à notre intervention.
E. Thomas décrit d’abord sa façon de travailler : « depuis vingt cinq ans, je joue des histoires avec des enfants ». « je suis comédienne pour metteur en scène de cinq ans ». Son espace : une grande pièce, pleine d’objets utilisables (des marionnettes, des déguisements, des épées, des peluches…). « Un lieu qui stimule l’imaginaire et qui donne envie de jouer ».

Elle travaille avec des groupes de 2 ou 3 enfants qui peuvent jouer seul, entre eux ou avec l’adulte, et dans ce cas uniquement à leur demande. Toutefois des règles doivent être respectées, comme « le temps de partir » ou la gestion des jouets.

E. Thomas n’intervient pas : elle se met en quelque sorte à la disposition des enfants, répondant à leurs demandes de jeux et de mises en situation. Elle se laisse diriger « comme une comédienne par un metteur en scène », comme « un témoin respectueux » et « elle ne parle pas de ce qui se joue ».

Car ce qui l’intéresse avant tout, c’est « comment le récit se construit » et comment s’épanouit l’imaginaire. Mais aussi comment apparaît l’audace de jouer toutes sortes de situations, y compris les plus délicates, audace permise par le fait clairement exprimé de « faire semblant ».

Bien sûr, dans ce cadre à la fois rigoureux et très ouvert, l’enfant peut mettre en scène des éléments très traumatisants, comme le décès d’un parent ou un accident dont on a été témoin. Il y a là à la fois un travail d’appropriation par l’enfant de l’événement et du drame, mais aussi une mise à distance du traumatisme. Souvent l’enfant répète la scène, avant en quelque sorte de l’exorciser. « Le traumatisme a un effet pétrifiant et le jeu remet du vivant dans ce qui était gelé ». Par le jeu, l’enfant reprend le pouvoir sur l’événement. « C’est en jouant qu’il peut le mieux s’approprier ce qui lui a totalement échappé dans la réalité ».

Les jeux relatifs à l’école sont particulièrement intéressants : « je serais la maîtresse et tu serais l’élève qui ne sait rien » propose un enfant à la psychologue scolaire !! Toute la panoplie relatif au mauvais élève (stylo rouge, zéros, cris, feuille déchirée) apparaît. Il explore sa souffrance d’échec mais devient actif à ce sujet, ce qui est un grand pas de franchi, comme nous le voyons en rééducation orthophonique.

Ces jeux permettent selon les cas de retrouver confiance, de progresser en langage, de s ?intéresser à nouveau au travail scolaire et à l’institution.

Mais l’auteur fait aussi part de son désarroi devant « les nouveaux hors-la-loi de cinq ans ». Car les enfants violents deviennent plus nombreux et apportent des problèmes nouveaux. Il y a toujours eu de la violence dans les jeux des enfants. Mais ce type de jeu n’était qu’un parmi d’autres. Les jeux étaient élaborés, complexes et la mort n’était qu’un des éléments. Et surtout, il existait des « sauveurs », comme les pompiers, les docteurs, les policiers.

Des jeux « nouveaux », autour du meurtre et de la torture, sont mis en scène. Et ils sont omniprésents dans les propositions des enfants. De plus, ils s’achèvent très vite sur la mort, sans repêchage…Et on recommence un autre jeu, et on tue encore…

L’auteur propose quelques pistes de compréhension pour ces enfants. Le tryptique « père absent, mère à la dérive et télévision omniprésente » fonctionne bien dans l’absence de construction du psychisme des enfants.

Mais les enfants traités comme des dieux, surinvestis, gavés, ne connaissant pas de limites, ni de frustrations, constituent également un cas problématique. Une piste proposée par l’auteur est intéressante : l’enfant deviendrait une valeur sûre dans un mode à l’avenir incertain, ce qui expliquerait la volonté de tout miser sur lui, et donc de tout lui offrir, sans le frustrer.

La télévision « immobilise l’enfant, mais ne le mobilise pas » dit Liliane Lurçat. Un effet de dépendance apparaît par rapport à certaines activités sociales. On s’habille devant la télé, on déjeune devant, on se repose devant. Et les parents l’utilisent pour « faire passer » la séance d’habillage du matin ou le laborieux petit dèj.

Bien sûr, c’est aussi aux personnages de la télé qu’il faut penser pour mieux comprendre les jeux et les simulations des enfants : les robots et autres « monstres » tueurs ET invincibles constituent des modèles. Sans parler des « vrais » films (violents voire sexuels) que laissent plus ou moins délibérement voir les parents.

« C’est par le biais des contagions émotionnelles que la violence agit, pouvant engendrer des mimétismes » rappelle L. Lurçat.

E. Thomas parle aussi du langage.

« Les enfants vivent dans un langage de plus en plus flou . Ils utilisent un petit stock de mots.» Ils sont plongés dans le bruit, les mots de la publicité et la concentration, voire la compréhension finissent par manquer.

Mais plus grave, la parole des adultes n’est plus vrai. On menace et on ne tient pas, on ment, on ne donne pas de réponse. « C’est comme si leur confiance (des enfants) dans le langage ne se construisait pas ». Le langage ne sert plus de médiateur : on a envie alors on prend, y compris avec violence, sans demander.

Sans doute tout ceci est-il à prendre, de plus ou moins loin, dans notre intervention et en particulier dans la partie pragmatique, qui devrait occuper une bonne place à côté de la rééducation stricto-sensu. Sans doute ces réflexions et pistes proposées ici pourront nous aider au quotidien.
Eva THOMAS

Psychologie & Education, 2000, n°40