Grille d’évaluation orthophonique d’un sujet sourd sévère ou profond

Actualités Orthophoniques Mars 2000 (volume 4, n°1)
Patricia Malquarti est orthophoniste à Nice. Elle a une maîtrise en Sciences du langage. Elle est attachée au centre de surdité de l’hôpital Lenval. Elle est également chargée de cours à l’Ecole d’Orthophonie.
L’évaluation orthophonique d’un sujet présentant une déficience auditive sévère ou profonde : grille de synthèse des données.

Il n’existe pas à l’heure actuelle en France de bilan orthophonique complet étalonné et reconnu permettant d’apprécier les potentialités globales d’un sujet sourd.
Chaque orthophoniste en prise avec les multiples aspects d’une prise en charge orthophonique d’un sourd sévère ou profond avec faible récupération audioprothétique sait bien l’ampleur de la tâche nécessaire à l’accompagnement du sujet vers cette maîtrise de la langue française – aspect oral (compréhension, expression) et écrit (compréhension, expression) – et ce quelle que soit l’option éducative choisie par la famille (même si certaines semblent plus adaptées que d’autres).

Tout « professionnel de la surdité » confronté à cette réalité linguistique passe par des phases de doute, de questionnement et s’interroge forcément sur les modes d’action mis en ?uvre :

• qualité de la prise en charge

• mode(s) de communication(s)

• accompagnement familial

• mode de transmission du langage

• aides techniques

• conditions de prise en charge (intégration, institut spécialisé…)

etc…

Au fil de presque 20 années de tâtonnements, de réflexions, de formations à diverses techniques, d’expériences auprès de très jeunes enfants et leur famille (éducation précoce), d’enfants d’âge préscolaire, d’enfants ou d’adolescents en situation d’apprentissage du langage écrit, d’enfants ou d’adolescents intégrés ou en classes spécialisées, d’adultes ou d’enfants maîtrisant à des degrés divers la langue française et/ ou la L.S.F., il m’a semblé qu’il pouvait être utile – à travers ces observations, ces prises en charge et leurs bilans respectifs – de tenter une SYNTHESE globale des éléments prioritaires constitutifs d’une « éducation au langage » adaptée et cohérente .

Pour ce faire il s’agit de dégager les points essentiels permettant de dresser un « état des lieux » au moment du bilan orthophonique, qu’il soit initial, final, ou trace momentanée de l’évolution de l’enfant – et de sa prise en charge –

Ainsi, une double réflexion sur :

– les modes de réception de la langue audiovocale par le sujet à un moment donné et les modes d’expression

– ainsi que le niveau de compréhension et d’expression de ce sujet (évalués dans de multiples tests et items proposés par divers auteurs) a permis de séparer le « comment il perçoit » du « comment il comprend » (perception du signifiant, compréhension du signifié) et le « comment il s’exprime » du « qu’est ce qu’il exprime » (voix – parole articulée- intonation ~ langage)

Ainsi, nous avons tous pu constater comment certains peuvent avoir un bon niveau d’intelligibilité mais un niveau d’expression et d’échange très limité, alors que paradoxalement certains s’expriment « mal » tout en exprimant pourtant l?essentiel…

L’objet de la grille d’observation élaborée est d’offrir aux orthophonistes un guide simple et fonctionnel pour l’évaluation pouvant être adapté à chacun selon son niveau et selon le mode éducatif préconisé par l’entourage et/ ou les professionnels.

Les critères d’évaluation retenus s’appuient donc sur la réalité communicationnelle du sujet déficient auditif sur le plan :

• AUDITIF : Est-ce qu’il entend quelque chose ? Quoi ? Comment ? Qu’en fait-il pour la compréhension du langage oral au quotidien ?

• VISUEL : Est-ce qu’il utilise la labiolecture ? Est-elle efficace ? Jusqu’à quel point ?

• Sa double perception VISUELLE et AUDITIVE lui permet-elle de construire peu à peu du SENS ? Lui permet-elle de recevoir de la langue parlée et/ ou écrite suffisamment pour que peu à peu s’engrangent les représentations mentales des structures phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques de la langue, supports d’une pensée qui se structure en même temps que se structure le langage. Car il ne peut y avoir expression orale (et/ ou écrite) sans conscience linguistique engrangée (réception- compréhension).

Dans un deuxième temps on examinera donc de manière précise le LANGAGE du sujet en sélectionnant des tests adaptés pour chaque point selon son âge et son niveau.

Des épreuves spécifiques permettent de mieux cibler tel domaine et un travail complémentaire est en cours faisant la liste – non exhaustive – des épreuves utilisables.

En tant qu’orthophoniste, linguiste, et experte en L.S.F., je situe mes propos au-delà de toute polémique sur les choix de mode de communication de l’entourage (famille et/ ou structure éducative).

La trame d’analyse proposée respecte chaque approche. Il s’agit simplement d’être au clair sur ce qu’on évalue donc d’être rigoureux sur la terminologie et la passation des tests.

En compréhension par exemple, il faudra être vigilant sur le langage oral pour évaluer précisément du français (écouté (réception auditive pure), parlé (audition + lecture labiale), écrit) et non du français signé car alors c’est la communication bimodale qui est testée.

Selon les enfants, il pourra y avoir des épreuves :

• en français + L.P.C. (1)

• en français signé (2)

• en L.S.F. (3)

• L.P.C. : Langage Parlé Complété ou Cued Speech, aide visuelle (code manuel syllabique) de discrimination phonologique de la parole en complément de la labiolecture.

• Français signé : français parlé avec signes gestuels simultanés emprunté à la L.S.F.

• L.S.F. : Langue des Signes Française.

Il en va de même pour l’expression :

il faudra noter précisément les deux modes d’expression (gestuelle et orale) le cas échéant en séparant leur analyse, même s’il s’agit de français signé, afin de mieux cerner le système linguistique en construction.

En conclusion, l’objectif central de cette grille de notation de l’évaluation orthophonique d’un sujet sourd est de pouvoir sonder de manière plus ou moins objective (qualitativement et quantitativement) les compétences mises en ?uvre

• en LANGUE AUDIOVOCALE

• en L.S.F . (le cas échéant)

pour :

PERCEVOIR
Auditivement

Visuellement (lecture labiale)

( langage gestuel)

COMPRENDRE le français (oral et écrit)

La L.S.F.

ORALISER voix

articulation

rythme syllabique

intonation

et/ou GESTUER gestes (concomitance ou pas)

EXPRIMER lexique

morphosyntaxe

pragmatique

Il s’agit de tester en même temps que le sujet sourd les moyens éducatifs et rééducatifs utilisés afin de mieux l’aider à structurer un langage en cours d’élaboration, et d’adapter au mieux la (ré)éducation orthophonique et la guidance parentale associée.

Par ailleurs, d’autres compétences (notamment en ce qui concerne la mémoire ) doivent être prises en compte parallèlement. L’important est de donner un profil global des potentialités du sujet afin de l’accompagner au mieux dans la construction de son langage et de sa pensée.

Le bilan orthophonique d’évaluation

Les quatre pages qui suivent peuvent être utilisées recto /verso pour la constitution d’une double feuille faisant office de pochette dans laquelle on glissera les corpus recueillis dans les différentes observations ou épreuves.

La page de garde est un récapitulatif global . La page de conclusion pourra être agraphée à l’ensemble.

Chaque domaine abordé devra être adapté à l’âge et au niveau du sujet, l’intérêt prioritaire de la grille d’évaluation étant de permettre d’obtenir un PROFIL GLOBAL des potentialités et des difficultés du sujet, afin d’ADAPTER la rééducation et de pouvoir ensuite CONTROLER L’EFFICACITE du projet orthophonique mis en ?uvre.

Différentes épreuves pourront être proposées, sélectionnées dans les tests existants, et/ou créées en fonction de l’évolution de la prise en charge orthophonique.

Ainsi pour l’examen des capacités linguistiques :

• La compréhension pourra être évaluée à travers :

1 – des épreuves de DESIGNATION (objets et/ou images. Tests de vocabulaire. Tests de compréhension morphosyntaxique,….)

2 – des épreuves de compréhension de CONSIGNES ou de réponses à des QUESTIONS

3 – la communication établie entre le sujet et l’examinateur.

4 – etc…

• L’expression pourra être appréciée :

° sur le plan de la voix et de la PAROLE (articulation- rythme- intonation) dans des épreuves de REPETITION, de DENOMINATION, et dans le LANGAGE SPONTANE et/ou INDUIT. Le SYSTEME CONSONANTIQUE et VOCALIQUE du sujet devra ressortir clairement dans un tableau phonologique .

° sur le plan linguistique (lexique – morphologie – syntaxe – pragmatique de la communication ) au travers d’épreuves de commentaires d’images, ou d’histoires en images séquentielles, et/ou en langage spontané, …

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Patricia MALQUARTI – Nice – Septembre 1999.