Approche transculturelle des troubles de la communication

Actualités Orthophoniques Mars 1999 (volume 3, n°1)
A l’heure où les violences en Algérie conduisent une part croissante de la population à l’émigration, où les sans-papiers d’Afrique de l’Ouest demandent leur régularisation, où les arrivants d’Europe de l’Est sont de plus en plus nombreux et où les efforts déployés pour favoriser la scolarisation des enfants des tsiganes et des gens du voyage portent leurs fruits, il apparaît de façon certaine que les interventions auprès des enfants migrants, tout comme celles auprès des enfants issus de familles migrantes, viennent s’ajouter aux multiples compétences de l’orthophoniste.
Ceci étant, plusieurs façons d’intervenir peuvent être envisagées et si toutes sont mues par les meilleures intentions du monde, toutes ne prennent pas en compte les travaux les plus récents et notamment ceux qui traitent du bilinguisme primaire et secondaire et de l’effet sur l’appétence communicationnelle et sur la réussite scolaire de la congruence des modèles familiaux et des modèles du pays d’accueil.

L’une de ces approches consiste à proposer à ces enfants et adolescents – et donc plus ou moins indirectement à leurs parents – les mêmes prises en charge (bilan, restitution, rééducation) que celles que l’on propose d’habitude en oubliant que celles-ci mêmes sont définies d’après des cadres de référence sinon typiquement français tout au moins très occidentaux.

Tout autre est l’approche de Francine Rosenbaum, puisqu’elle envisage les difficultés de communication orale ou écrite de ces patients à travers le prisme d’une histoire individuelle ou familiale marquée par la migration, afin d’élaborer ce qu’elle-même intitule une approche transculturelle des troubles de la thérapie.

Evoluant dans le cadre de l’ethnopsychiatrie des théories contextuelles et systémiques, l’auteur nous propose de mettre en ?uvre nos capacités d’écoute et de communication pour découvrir l’autre, quel qu’il soit dans son histoire et dans sa culture, afin par la suite de proposer les outils orthophoniques dont nous disposons toutes et tous et dont il pourra alors bénéficier s’il le désire en toute connaissance de cause.

Après avoir résumé le cadre théorique sur lequel repose son travail et avoir présenté les outils qu’elle utilise, l’auteur relate en détail quelques expériences de prises en charge qui sont prétexte à d’autres apports théoriques et à de nouvelles réflexions. Le rappel de théories permet d’évoquer les notions de bilinguisme et de multilinguisme affectif, les phénomènes de déparentalisation (fréquents lorsque les parents manient peu la langue du pays d’accueil et que les enfants deviennent les interlocuteurs privilégiés des institutions), de restitution de la compétence parentale, la représentation culturelle du symptôme, les différents signes de l’échec scolaire (envisagés comme un acte de loyauté et de fidélité à l’égard du pays d’origine), le mythe du retour…..

Parmi les outils thérapeutiques, certains nous sont familiers et notamment ceux-ci inspirés des travaux de F. Estienne – laquelle préface d’ailleurs l’ouvrage – : représentation individuelle et logothérapie de groupe, dictée à l’adulte, contrat de restitution explicite, respect du symptôme et mobilisation des compétences de l’individu. D’autres sont plus spécifiques: thérapie mère/enfant, élaboration du génogramme de l’enfant et de l’histoire de sa famille par delà les frontières, utilisation de contes bilingues, travaux sur la revalorisation de la culture d’origine.

Quant aux prises en charge que l’auteur partage avec nous elles nous font entrevoir les multiples applications de ce qui n’est pas une technique mais bien une approche. Bien sûr Francine Rosenbaum exerce la profession d’orthophoniste en centre (à Neufchâtel plus exactement), ce qui lui permet un travail en collaboration avec d’autres professions. Bien sûr sa formation théorique et son expérience lui autorisent une assurance que nous n’avons pas toujours mais si certains des outils proposés peuvent nous sembler d’utilisation délicate, nous pouvons y prendre ce dont nous nous sentons capables et il est sûrement moins dangereux d’insérer dans notre pratique ce concept de thérapie métaculturelle que d’appréhender des enfants migrants ou de familles migrantes sans porter attention à leur histoire et aux référents dont ils sont construits et en cherchant à calquer un modèle de fonctionnement dévastateur pour l’équilibre de ce fragile entre-deux culturel qu’ils tentent d’élaborer.

Parmi les questions sur la migration que propose l’auteur à ses patients, on pourra en garder quelques unes qui sont essentielles: où l’enfant est-il né, quelle est sa nationalité, dans quel pays, dans quelle ville (nombreux sont les enfants qui ne le savent pas eux-mêmes), à quel âge est-il arrivé en France, a-t-il des frères et des s?urs résidant encore dans le pays d’origine, y retourne-t-il pendant les vacances, les grands-parents sont-ils eux-mêmes en France, quelle est la langue utilisée par les parents entre eux, par les enfants entre eux, lorsque l’enfant s’adresse à sa mère, à son père…..

L’orthophoniste pourra souvent peaufiner ses connaissances géographiques, historiques et ethnologiques en se renseignant sur les pratiques éducatives et religieuses du pays d’origine, les systèmes de filiation, les habitudes alimentaires…

Ce que l’auteur appelle la reconnaissance des auto-références réciproques permettra des entretiens de bilan plus enrichissants pendant lesquels l’orthophoniste tout comme les consultants se sentiront moins démunis et des restitutions plus intéressantes au cours desquelles les outils spécifiques de l’orthophoniste seront d’autant plus efficaces qu’ils s’intégreront dans une démarche de rencontre et d’échanges.

Rozenn HENRY-GAONARC’H

Pour en savoir plus :

Les interventions de Mme ROSENBAUM lors des Colloquesd’orthophonie/logopédie de Neuchatel (1992…)

Les ouvrages d’ethnopsychanalyse et d’ethnopsychiatrie de T. NATHAN (1986…)

Francine ROSENBAUM

Ed. Masson, 1997, 137 p., 130FF