Approche holistique des difficultés de langage et de parole chez l’enfant

Actualités Orthophoniques Septembre 2000 (volume 4, n°3)
Rarement utilisé en France, le terme « holistique » est bien plus fréquent dans la littérature anglo-saxonne. Il signifie « global » au sens où une telle approche englobe la totalité des éléments. Certains auteurs américains utilisaient ce terme pour proposer une méthode d’intervention langagière non structurée en petites unités, donc plutôt conçue comme un bain de langage.
Ici, le terme prend un sens différent. S’appuyant sur une longue expérience clinique, l’auteur nous propose une vision unique (donc globale ?) des troubles « orthophoniques » autour des concepts d’anxiété et de tension. Exemples ( ?) à l’appui, elle va proposer une analyse largement surprenante, surtout à notre époque où évaluations et neuropsychologie sont au premier plan. Mais la démarche est suffisamment inhabituelle pour que nous la proposions à votre réflexion.

Pour l’auteur, le terme d’anxiété est pris dans son sens le plus large, incluant l’inquiétude et le stress mais également un état d’agitation et d’excitation excessive. Quant à la tension, elle n’est guère définie, si ce n’est par son contexte : « la tension n’existe pas hors de l’influence de l’environnement ». Reprenant les éléments d’un article de Weinstock, en 1997, P. Sims note les (présumés) effets à long terme du stress de la mère enceinte sur le comportement et le développement de l’enfant à naître.

P. Sims rappelle que l’anxiété et la tension sont des attributs normaux, essentiels à tous, mais dont le degré et la manière de s’exprimer sont différents chez chacun. Selon elle, « ces différences pourraient causer des variations dans le développement de l’individu ».

Partant de ce postulat, elle propose qu’une enquête sur les traits de personnalité soit effectuée lors de l’étude de cas auprès des parents.

Trois traits fondamentaux sont proposés :

• Les actes de déconnexions

Chacun de nous, par protection voire par plaisir, décroche parfois. Mais chez certains enfants, ce comportement peut devenir habituel dès le plus jeune âge. Il s’agirait d’arrêts de fonctionnement durant la classe et particulièrement lors de l’exposé de directives. Ces déconnexions, d’abord volontaires en lien avec une certaine anxiété, peuvent devenir involontaires. L’enfant devient alors incapable d’absorber, de retenir et d’associer des idées face à une information.

• L’évitement des contraintes

Il s’agit également d’un trait universel. Mais poussé à l’extrême, il apparaît obsessionnel et compulsif. Ce n’est pas la tâche à réaliser qui est évitée mais bien la contrainte elle-même. Les moyens d’évitement sont nombreux : charme fait à l’adulte, distraction de l’attention de l’adulte, parole incessante, pleurs, plainte permanente de fatigue ou de maux de tête, rires fréquents, critique de la tâche à faire…Les tactiques sont nombreuses et c’est la persistance de l’évitement qui fait la pathologie.

• Répétition et similarité

En lien avec l’anxiété, on note souvent des comportements ritualistes et répétitifs ainsi que l’adhérence à des routines. De nombreux enfants montrent de tels traits de personnalité, mais certains vont jusqu’à une activité obsessionnelle (ainsi James qui est bouleversé dès que l’on change son itinéraire habituel).

Selon l’auteur, de nombreux autres traits se rencontrent chez les enfants : hyperactivité (synonyme de tension élevée), inquiétude, sensibilité aux critiques, hypersensibilité, régression….L’acte de déconnexion évoqué ci-dessus pourrait conduire à un mauvais sens du danger, à un sens peu développé de sa propre identité, à des difficultés à s’habiller (!), à une hypoacousie apparente… Il peut aussi contribuer à une latéralité indéterminée, voire à gauche… Et l’auteur cite un article montrant que davantage d’autistes sont gauchers (23% contre 4,5% pour les sujets témoins).

A l’issue de cette présentation, le pas est fait par l’auteur pour écrire « maints troubles du langage sont en fait des traits de personnalité ».

Ainsi, un enfant qui résiste au changement peut ne pas être prêt à parler ou à changer son discours. Une compréhension limitée peut résulter de pensées lentes, fonctionnant par à-coups… La qualité vocale peut être affectée par la tension, ce qui peut causer une dysphonie. Il en serait de même pour la dyspraxie, en lien avec l’anxiété. Le bégaiement commencerait par de simples répétitions de syllabes qui vont devenir habituelles et compulsives. «Le bégaiement semble avoir ses origines dans la tension et l’anxiété communes à l’enfance – et souvent connues par tous les enfants – mais l’habitude de répéter des mots et des syllabes offre plus de possibilités de complications que ne le font la plupart des autres traits de personnalité » (comme se sucer le pouce).

Suit une liste de symptômes pour différents troubles (dyslexie, hyperactivité, autisme, syndrome de Tourette, schizophrénie) qui tendrait à prouver que les traits précédemment évoqués constituent la base fondamentale de ces troubles…

« La thérapie devient plus efficace, créatrice et adaptable ».

« Un traitement efficace et qui implique l’enfant et une approche préventive sont plus faciles à mettre sur pied »

« un traitement qui comprend aussi des stratégies d’enseignement… »

« l’enfant d’âge préscolaire dont la réticence et le besoin de statu quo l’ont conduit à un retard dans le développement de la parole ne requiert peut-être aucune intervention directe ». « Il est possible que des conversations puissent contribuer à supprimer ou amoindrir tout facteur environnemental qui contribuerait à augmenter les niveaux d’anxiété et de tension »….

En conclusion, « beaucoup de troubles du langage et de la parole…sont soit des traits ou sont associés à des traits liés à la tension et à l’anxiété…Nous devons comprendre un enfant à travers ses traits liés à l’anxiété et à la tension pour comprendre à fond ses problèmes ou son état ».

Une petite surprise pour la fin. Pourquoi y a-t-il beaucoup plus de garçons que de filles présentant des troubles du langage (4 pour 1) ? « les hommes ont évolué en chassant et en se battant, ils ont donc dû être plus agressifs et posséder plus de tension inhérente, ce qui leur cause davantage de problèmes développementaux »…..

Bref, une approche réellement holistique…et originale.

Patricia SIMS

Congrès du CPLOL, 2000,