Aphasie 2000

Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
Cet ouvrage correspond en fait aux Actes des XXVIIIè Entretiens de Médecine Physique qui ont eu lieu début Mars à Montpellier. Et ceci donne à la fois des forces et des faiblesses à cet ouvrage.

D’une part une vision particulièrement large de l’aphasie, bien au- delà de que l’on lit habituellement, et donnant la part belle à l’intervention orthophonique et à la réinsertion.

D’autre part, des chapitres bien courts pour la plupart, qui laissent nettement sur la faim de curiosité scientifique. Bien sûr la bibliographie, en fin de chaque chapitre, est conséquente. Mais ceci ne remplace pas le manque de développement de certains sujets. Surtout pour un prix qui dépasse largement les habitudes.

Mais ne faisons pas trop la fine bouche : de nombreux chapitres valent nettement la peine de s’arrêter sur ce livre.

Par exemple l’article de Mazzucchi qui débute cet ouvrage et qui fait nettement la distinction entre trois types d’intervention se superposant et non se concurrençant : le niveau neurologique clinique, le niveau neuropsychologique (qui, pour l’auteur, représente un potentiel considérable) et le niveau neurorééducatif.

L’article court mais complet sur l’imagerie cérébrale apporte des « preuves » à des intuitions rééducatives (par exemple la MIT).

Le chapitre à propos des « confins de l’aphasie » traite d’une part des troubles perceptifs (agnosies de tout genre) et des troubles moteurs (dysarthries..), d’autre part du lien entre aphasie et troubles cognitifs (attention, mémoire de travail..). Cette notion de diagnostic différentiel est essentielle pour nous car les limites ne sont pas toujours très claires. Quant au replacement des troubles du langage dans une perspective plus large, il permet de mieux comprendre certains déficits.

Dans un superbe article, Nespoulous et Soum font part de leurs réflexions psycholinguistiques…Ils lèvent un certain nombre de pistes, parmi lesquelles la nécessité d’aller au-delà des troubles de surface qui « sont loin de nous livrer directement la nature du déficit sous-jacent » originel. Mais d’autres questions (du type « symptôme linguistique -déficit linguistique ou bien la distinction temps réel/temps différé) aiguisent l’appétit intellectuel et clinique.

Trois chapitres traitent ensuite de l’évaluation : une revue des outils actuellement disponibles, mais également la présentation de deux protocoles nouveaux :

• l’Echelle de Communication Verbale (ECVB) de Bordeaux qui souhaite « donner une image de ce qui se passe au quotidien pour la personne aphasique ».

• Le TLC (Test Lillois de Commu­nication) qui repose sur quatre « épreuves » (entretien dirigé, discussion ouverte, situation PACE et questionnaire de l’entourage) et qui comporte trois grilles d’évaluation (at­tention et motivation à la communication, communica­tion verbale, communication non-verbale).

C’est sans doute à propos de la rééducation que l’ouvrage manque le plus d’étendue : 11 chapitres en 70 pages, y compris les bibliographies, cela laisse sur sa faim.

Parmi les pistes intéressantes (et/ou discutables…):

• Les propos de Mazzucchi, visiblement mieux inspiré dans son premier article. Il tente d’imposer la notion de « rééducateur neuropsychologique », qui « absorberait » la profession d’orthophoniste. « Dans un futur proche, il ne sera plus acceptable que soient formés des thérapeutes uniquement compétents pour la rééducation des troubles du langage en ignorant ou en déléguant à d’autres personnes plus ou moins compétentes les autres fonctions cognitives ». Ou bien « le traitement des troubles légers du langage sort du champ de compétence traditionnel des orthophonistes , et entre de droit dans le secteur plus large et plus complexe de la rééducation neuropsychologique ». NDLR :On mesure à travers ces propos tous les défis qui nous guettent dans les prochaines années : accroitre notre compétence par une formation initiale et continue très adaptée et dynamique, globaliser notre intervention à la fois en prenant en compte (si ce n’est déjà fait pour certains) l’ensemble des troubles cognitifs surtout lorsqu’ils se rapportent à un trouble langagier ou communicationnel primaire et en structurant notre approche « personnalisée ». Et comme dernier défi, mettre en avant notre capacité de synthèse, principale arme contre les « spécialistes » de tout poil.

• Les propos « inverses » de F. Tetu, orthophoniste, qui « prêche » pour la guidance des parents (NDLR : bien que le terme ne me semble guère ici satisfaisant) et pour une certaine souplesse rééducative dans un but de meilleure efficacité.

• La Thérapie Mélodique et Rythmée, méthode spécifique, très structurée, et semble-t-il quasi miraculeuse (« Elle a donné des résultats très supérieurs à la rééducation orthophonique classique »…).

• Les thérapies pragmatiques et la PACE où JP Lissandre, vieux routier en la matière, balise cette voie de travail, hélas de façon bien trop rapide, alors qu’il s’agit là d’un domaine très riche et pourtant assez méconnu.

• Y-a-t-il un logiciel pour l’aphasie ? C ?est une question souvent demandée et l’article de Beis et coll. propose quelques réponses. La conclusion peut sembler un peu négative : l’utilisation d’un ordinateur reste et restera marginal pour la rééducation (à l’exception de certains domaines comme la lecture) mais c’est surtout parce que les auteurs rappellent fort opportunément que l’ordinateur est un moyen d’expression alors que l’aphasique a besoin d’un moyen de communication.

• On aurait pu espérer beaucoup du titre « Approches psychologiques et sociales » présenté par l’équipe de Bordeaux (Mazaux et coll.). Hélas, l’excessive brieveté des propos (2 pages pour un tel sujet) ne permet qu’un catalogue non hiérachisé et peu argumentée sur ce sujet, pourtant essentiel.

• Une autre interrogation que nous nous posons devant une aphasie d’expression très sévère ou totale est : « mais pourrions nous faire de plus, de mieux, de différent pour soulager le patient et lui permettre quelques bribes d’expression et de communication? » L’article de Brun et coll. traite donc des « pictogrammes, aidé par le langage gestuel ». Les différents systèmes sont proposés ici (et de façon correctement détaillés…), mais la conclusion semble sombre : ces codes restent intra-familiaux et peu utilisés.

• Si vous n’étiez pas au courant de l’excellent travail de P.A. Joseph sur l’indication de l’orthophonie, c’est le moment de vous y mettre. Bien sûr, on a un peu l’impression qu’il y a « médicamentisation » de la rééducation (2 à 3 heures par semaine dans les deux premiers mois, 5 séances hebdomadaires à partir du 3 ème mois et ce pendant 6 à 8 semaines. Après on verra…). Mais tout cela constitue une piste (avant de devenir une obligation un jour ??) et la partie consacrée à la fin de rééducation s’avère encore plus intéressante.

Enfin une dernière section est consacrée à la réadpatation, à la réinsertion et à la vie sociale.

• JM Wirotius nous propose un tour d’horizon bien complet sur la dépression de l’aphasique et sur les autres troubles psychiques qui peuvent accompagner ce déficit/handicap. Il s’agit d’un domaine que nous maitrisons peu en orthophonie, mais qui doit entrer dans nos préoccupations car ces troubles peuvent influencer considérablement l’évolution langagière et sociale de la personne aphasique.

• Enfin, l’article consacré à la qualité de vie (Pélissier et coll.) clôt de façon fondamentale cet ouvrage. On y rappelle l’importance de la mesure de la qualité de vie, notion encore très confidentielle pour nous, mais qui gagne du terrain, tant dans les recherches que dans les expertises. Et c’est sans doute une des clés qui nous permettra de mieux « prendre en compte, au-delà de la performance langagière, le vécu du patient et les contraintes de son environnement ».
Sous la direction de JM MAZAUX, V. BRUN et J.PELISSIER

Ed. MASSON, 2000, 232p., 400 FF