Aperçus expérimentaux sur 35 ans d’enseignement-apprentissage de la lecture-écriture en France

Actualités Orthophoniques Septembre 2000 (volume 4, n°3)
Vous connaissez sans doute, au moins de nom, la Batterie Prédictive d’Inizan (destinée à la Grande section de maternelle-G.S.M.), complétée par une Echelle Composite permettant d’apprécier la compétence en lecture-écriture des enfants du CP.

L’auteur nous propose ici une comparaison entre 1983 (année de la dernière révision des batteries) et 1999. Il constate que le niveau de développement cognitif a augmenté. Il s’agit en fait de l’aptitude à apprendre à lire, appréciée en fin de G.S.M. Selon l’auteur, l’évolution des activités éducatives en maternelles alliée au développement des activités extra-scolaires explique cette évolution favorable.

Il note également que les résultats sont bien différents selon les lieux et il propose deux hypothèses pour expliquer cette variabilité : une sociologique, en fonction du type de population des écoles analysées, une pédagogique, lorqu’un travail important a été réalisé en G.S.M., avec ce qu’il nomme un « grand bain d’écrits ». Au total pour 316 élèves testés, 11% seulement sont immatures pour aborder la lecture, essentiellement dans deux écoles.

Par contre, le savoir-lire, évalué en fin du Cours Préparatoire (C.P.) est en recul :33% des enfants ne savent pas lire selon la Batterie, alors qu’ils n’étaient que 25% en 1983.

L’auteur constate à nouveau la grande variabilité selon les écoles. Dans une ZEP, 65% des enfants sont non-lecteurs alors qu’ils ne sont que 20% dans l’Allier.

Un fait qui n’est guère expliqué dans l’article concerne la divergence de certains résultats : ainsi dans la ZEP, où donc les deux tiers des enfants ne savent pas lire en fin de CP, il n’y en a qu’un quart qui ne sont pas prêts à cet apprentissage. En Hauts de Seine, l’écart est bien moindre (31% de non lecteurs contre 16% de « mauvais candidats »)…En Allier , 2% en difficulté en GSM, mais 20% en fin de C.P.

Par contre l’auteur note que l’allure statistique se modifie, passant d’une distribution assez égale à une accentuation vers les extrêmes : en GSM, on trouve tous les cas possibles, alors qu’en fin de C.P., c’est davantage tout (l’enfant lit très bien) ou rien (l’enfant ne sait pas lire).

Bien entendu les conclusions de l’auteur concernent la pédagogie et mettent à mal Instructions Officielles, mode, langue de bois… On sort donc de notre cadre de référence….

Mais certaines critiques semblent bien fondées :

• l’escamotage de fait de l’apprentissage proprement-dit (« on apprend à lire en lisant » selon certains enseignants)

• le culte de la profusion qui noit l’enfant en difficulté dans un « grand bain d’écrits »

• l’affrontement prématuré à des textes qui pousse l’enfant en apprentissage à en deviner les mots (au lieu de les lire)

• l’absence de rigueur chez certains enseignants (« écris comme tu veux, ça ne fait rien si tu fais des fautes »).

• La dichotomie entre bons et mauvais élèves et le fréquent choix (ou la nécessité) de s’intéresser davantage aux bons…

• La double diminution temporelle : celle du temps global de travail (440 heures en 1970, 250 heures actuellement) mais surtout la baisse du travail fécond (« la durée cumulée des regards d’un écolier attirés par de l’écrit »). Or il faut toujours autant de travail fécond pour parvenir à un savoir-lire : environ 50 heures sur 6 mois pour un enfant prêt à la lecture et jusqu’à 80 heures sur 9 mois pour un enfant moyen. Ceci représente donc environ 162 heures brutes pour les forts et 325 heures pour les moyens, alors que 250 heures brutes seulement sont proposées au total. Selon l’auteur la mathématique simple empêche beaucoup d’enfants d’accéder à la lecture.

Les propositions vont dans le même sens :

• accroître le taux de temps fécond par rapport au temps brut, ce qui ne semble guère compatible selon l’auteur avec les modes actuelles..)

• observer attentivement les enfants dans la classe, car à même niveau peuvent co-exister diverses stratégies et vice-versa.

• Personnaliser l’enseignement, avec la mise à la disposition des enseignants d’un support didactique adapté à chacun.

• Multiplier les moments personnalisés au lieu des classes collectives

• « Ne proposer à chacun que ce qu’il peut réussir, mais tout ce qu’il peut réussir » maintient la motivation de l’élève.

Bref, des propositions qui ne sont guère à la mode….
André INIZAN

Psychologie & Education, Juin 2000, n°41